ÉTUDE
SUR
SHAKESPEARE



C'est Voltaire qui, le premier, a parlé en France du génie de Shakespeare, et bien qu'il le traitât de barbare, le public français trouva que Voltaire en avait trop dit. On eût cru commettre une sorte de profanation en appliquant, à des drames qu'on jugeait informes et grossiers, les mots de génie et de gloire.

Je ne juge point cette question. Je dis qu'elle est posée et se débat aujourd'hui. Là nous a conduits le cours des idées. J'essayerai d'en indiquer les causes; je n'insiste en ce moment que sur le fait même, et pour en tirer une seule conséquence; c'est que la critique littéraire a changé de terrain et ne saurait demeurer dans les limites où elle se renfermait jadis.

La littérature n'échappe point aux révolutions de l'esprit humain; elle est contrainte de le suivre dans sa marche, de se transporter sous l'horizon où il se transporte, de s'élever et de s'étendre avec les idées qui le préoccupent, de considérer les questions qu'elle agite sous les aspects et dans les espaces nouveaux où les place le nouvel état de la pensée et de la société.

On ne s'étonnera donc pas si, pour connaître Shakespeare, j'éprouve le besoin de pénétrer un peu avant dans la nature de la poésie dramatique et dans la civilisation des peuples modernes, surtout de l'Angleterre. Si l'on n'aborde ces considérations générales, il est impossible le répondre aux idées, confuses peut-être, mais actives et pressantes, qu'un tel sujet fait naître maintenant dans tous les esprits.

Une représentation théâtrale est une fête populaire. Ainsi le veut la nature même de la poésie dramatique. Sa puissance repose sur les effets de la sympathie, de cette force mystérieuse qui fait que le rire naît du rire, que les larmes coulent à la vue des larmes, et qui, en dépit de la diversité des dispositions, des conditions, des caractères, confond dans une même impression les hommes réunis dans un même lieu, spectateurs d'un même fait. Pour de tels effets, il faut que la foule s'assemble: les idées et les sentiments qui passeraient languissamment d'un homme à un autre homme traversent, avec la rapidité de l'éclair, une multitude pressée, et c'est seulement au sein des masses que se déploie cette électricité morale dont le poëte dramatique fait éclater le pouvoir.

La poésie dramatique n'a donc pu naître qu'au milieu du peuple. Elle fut, en naissant, destinée à ses plaisirs; il prit même d'abord une part active à la fête; aux premiers chants de Thespis s'unissait le choeur des assistants.

Mais le peuple ne tarde pas à s'apercevoir que les plaisirs qu'il peut se donner lui-même ne sont ni les seuls, ni les plus vifs qu'il soit capable de goûter: pour les classes livrées au travail, le délassement semble la première et presque l'unique condition du plaisir; une suspension momentanée des efforts ou des privations de la vie habituelle, un accès de mouvement et de liberté, une abondance relative, c'est là tout ce que cherche le peuple dans les fêtes où il agit seul; ce sont là toutes les jouissances qu'il sait se procurer. Cependant ces hommes sont nés pour sentir des joies plus nobles et plus vives; en eux reposent des facultés que la monotonie de leur existence laisse s'endormir dans l'inaction: qu'une voix puissante les réveille; qu'un récit animé, un spectacle vivant viennent provoquer ces imaginations paresseuses, ces sensibilités engourdies, et elles se livreront à une activité qu'elles ne savaient pas se donner elles-mêmes, mais qu'elles recevront avec transport; et alors naîtront, sans le concours de la multitude, mais en sa présence et pour elle, de nouveaux jeux, de nouveaux plaisirs qui deviendront bientôt des besoins.

C'est à de telles fêtes que le poëte dramatique appelle le peuple assemblé. Il se charge de le divertir, mais d'un divertissement que le peuple ne connaîtrait pas sans lui. Eschyle retrace à ses concitoyens la victoire de Salamine, et aussi les inquiétudes d'Atossa et la douleur de Xerxès; il charme le peuple d'Athènes, mais en l'élevant à des émotions, à des idées qu'Eschyle seul peut exalter à ce point; il communique à cette multitude des impressions qu'elle est capable de ressentir, mais qu'Eschyle seul sait faire naître. Telle est la nature de la poésie dramatique; c'est pour le peuple qu'elle crée, c'est au peuple qu'elle s'adresse, mais pour l'ennoblir, pour étendre et vivifier son existence morale, pour lui révéler des facultés qu'il possède, mais qu'il ignore, pour lui procurer des jouissances qu'il saisit avidement, mais qu'il ne chercherait même pas si un art sublime ne les lui apprenait en les lui donnant.

Et il faut bien que le poëte dramatique poursuive cette oeuvre; il faut bien qu'il élève et civilise, pour ainsi dire, la foule qu'il appelle à ses fêtes: comment agir sur les hommes assemblés, sinon en s'adressant à ce qu'il y a de plus général, et de plus élevé dans leur nature? C'est seulement en sortant de la vie et des intérêts individuels que l'imagination s'exalte, que l'âme s'agrandit, que les plaisirs deviennent désintéressés et les affections généreuses, que les hommes peuvent se rencontrer dans ces émotions communes dont les transports font retentir le théâtre. Aussi la religion a-t-elle été partout la source et la matière primitive de l'art dramatique; il a célébré en naissant, chez les Grecs, les aventures de Bacchus, dans l'Europe moderne, les mystères du Christ. C'est que, de toutes les affections humaines, la piété est celle qui réunit le plus les hommes dans des sentiments communs, parce qu'il n'en est aucune qui les détache autant d'eux-mêmes; c'est aussi l'affection qui attend le moins, pour se développer, les progrès de la civilisation; elle est puissante et pure au sein de la société la moins avancée. Dès ses premiers pas, la poésie dramatique a invoqué la piété, parce que, de tous les sentiments auxquels elle pouvait s'adresser, celui-là était le plus noble et le plus universel.

Né ainsi au milieu du peuple et pour le peuple, mais appelé à l'élever en le charmant, l'art dramatique est bientôt devenu dans tous les siècles, dans tous les pays, et par ce caractère même de sa nature, le plaisir favori des classes supérieures.

C'était sa tendance; il y a trouvé aussi son plus dangereux écueil. Plus d'une fois, se laissant séduire à cette haute fortune, l'art dramatique a perdu ou compromis son énergie et sa liberté. Quand les classes supérieures peuvent se livrer pleinement à leur situation, elles ont ce tort ou ce malheur qu'elles s'isolent et cessent, pour ainsi dire, d'appartenir à la nature générale de l'homme, comme aux intérêts publics de la société. Les sentiments universels, les idées naturelles, les relations simples, qui sont le fond de l'humanité et de la vie, s'énervent et s'altèrent dans une condition sociale toute d'exception et de privilége. Les conventions y prennent la place des réalités; les moeurs y deviennent factices et faibles. La destinée humaine n'y est point connue sous ses traits les plus saillants et les plus généraux. Elle a mille aspects, elle amène une foule d'impressions et de rapports qu'ignorent les classes élevées si rien ne les contraint à rentrer fréquemment dans l'atmosphère publique. L'art dramatique, en se vouant à leurs plaisirs, voit ainsi se resserrer et s'appauvrir son domaine; une sorte de monotonie l'envahit; événements, passions, caractères, tous les trésors naturels qu'il exploite ne lui offrent plus la même originalité ni la même richesse. Son indépendance est en péril aussi bien que sa variété et son énergie. Les habitudes de la bonne compagnie ont leurs petitesses comme celles de la multitude, et elle est bien plus en mesure de les imposer comme des lois. Elle a des goûts plutôt que des besoins; elle porte rarement dans ses plaisirs cette disposition sérieuse et naïve qui s'abandonne avec transport aux impressions qu'elle reçoit, et bien souvent elle traite le génie comme un serviteur tenu de lui plaire, non comme un pouvoir capable de la dominer par les joies qu'il lui procure. Si le poëte dramatique n'a pas, dans le suffrage d'un public plus large et plus simple, de quoi se défendre contre les goûts hautains d'une coterie d'élite, s'il ne peut s'armer de l'approbation publique et prendre pour point d'appui les sentiments universels qu'il aura su remuer dans tous les coeurs, sa liberté est perdue; les caprices auxquels il aura voulu plaire pèseront comme une chaîne dont il ne pourra s'affranchir; le talent, fait pour commander à tous, se verra assujetti au petit nombre, et celui qui devrait diriger le goût des peuples deviendra l'esclave de la mode.

Telle est donc la nature de la poésie dramatique que, pour produire ses plus magiques effets, pour conserver en grandissant sa liberté comme sa richesse, elle a besoin de ne pas se séparer du peuple à qui elle s'est adressée d'abord. Elle languit si elle se détache du sol où elle a pris racine. Populaire en naissant, il faut qu'elle demeure nationale, qu'elle ne cesse pas de comprendre dans son domaine et de charmer dans ses fêtes toutes les classes capables de s'élever aux émotions où elle puise son pouvoir.

Tous les âges de la société, tous les états de la civilisation ne permettent pas également d'appeler le peuple au secours de la poésie dramatique, et de la faire fleurir sous son influence. Ce fut l'heureux sort de la Grèce que la nation tout entière grandit et se développa avec les lettres et les arts, toujours au niveau de leurs progrès et juge compétent de leur gloire. Ce même peuple d'Athènes, qui avait entouré le chariot de Thespis, s'empressa aux chefs-d'oeuvre de Sophocle et d'Euripide, et les plus beaux triomphes du génie furent toujours là des fêtes populaires. Une si brillante égalité morale n'a point présidé à la destinée des nations modernes; leur civilisation, se déployant sur une échelle beaucoup plus étendue, a subi bien plus de vicissitudes et offert bien moins d'unité. Pendant plus de dix siècles, rien dans notre Europe n'a été facile, général, ni simple. Religion, liberté, ordre public, littérature, rien ne s'est développé parmi nous qu'avec effort, au milieu de luttes sans cesse renaissantes, et sons les influences les plus diverses. Dans ce chaos immense et agité, la poésie dramatique n'a pas eu le privilège de parcourir une carrière aisée et rapide. Il ne lui a pas été donné de voir, presque en naissant, un public à la fois homogène et divers, grands et petits, riches et pauvres, toutes les classes de citoyens également avides et dignes de ses plus brillantes solennités. Ni les époques des grands désordres sociaux, ni celles des âpres besoins ne sont pour les masses le moment de s'adonner avec transport aux plaisirs de la scène. La littérature ne prospère que lorsque, intimement unie avec les goûts, les habitudes, toute la vie d'un peuple, elle est pour lui une occupation et une fête, un amusement et un besoin. La poésie dramatique dépend, plus que tout autre genre, de cette profonde et générale union des arts avec la société. Elle ne se contente point des tranquilles plaisirs d'une approbation éclairée; il lui faut de vifs élans et de la passion; elle ne va pas chercher les hommes dans le loisir et la retraite pour remplir des moments donnés au repos; elle veut qu'on accoure et se précipite autour d'elle. Un certain degré de développement et aussi de simplicité dans les esprits, une certaine communauté d'idées et de moeurs entre les diverses conditions sociales, plus d'ardeur que de fixité dans les imaginations, plus de mouvement dans les âmes que dans les existences, une activité morale vivement excitée, mais sans but impérieux et déterminé, de la liberté dans la pensée et du repos dans la vie; voilà les circonstances dont la poésie dramatique a besoin pour briller de tout son éclat. Elles ne se sont jamais réunies chez les peuples modernes aussi complètement ni dans une aussi belle harmonie que chez les Grecs. Mais partout où se sont rencontrés leurs principaux caractères, le théâtre s'est élevé; et ni les hommes de génie n'ont manqué au public, ni le public aux hommes de génie.

Le règne d'Elisabeth fut, en Angleterre, une de ces époques décisives, si laborieusement atteintes par les peuples modernes, qui terminent l'empire de la force et ouvrent celui des idées: époques originales et fécondes où les nations s'empressent aux fêtes de l'esprit comme à une jouissance nouvelle, et où la pensée se forme, dans les plaisirs de la jeunesse, aux fonctions qu'elle doit exercer dans un âge plus mûr.

À peine reposée des orages qu'avaient promenés sur son territoire les fortunes alternatives de la Rose rouge et de la Rose blanche, agitée, épuisée de nouveau par la capricieuse tyrannie de Henri VIII et la tyrannie haineuse de Marie, l'Angleterre ne demandait à Elisabeth, aux jours de son avènement, que l'ordre et la paix. C'était aussi ce qu'Elisabeth était le plus disposée à lui donner. Naturellement prudente et réservée, bien que hautaine, elle avait appris, dans les dures nécessités de sa jeunesse, à ne pas se compromettre. Sur le trône, elle maintint son indépendance en demandant peu à ses peuples, et mit sa politique à ne rien hasarder. La gloire militaire ne pouvait séduire une femme méfiante. La souveraineté des Pays-Bas, malgré les efforts des Hollandais pour la lui faire accepter, ne tenta point sa prévoyante ambition. Elle sut se résigner à ne pas recouvrer Calais, à ne pas conserver le Havre; et tous ses désirs de grandeur, comme tous les soins de son gouvernement, se concentrèrent dans les intérêts directs du pays dont elle avait à rétablir le repos et la prospérité.

Surpris d'un état si nouveau, les peuples en jouissaient avec l'ivresse de la santé renaissante. La civilisation, détruite ou suspendue par leurs discordes, renaissait ou grandissait de toutes parts; l'industrie ramenait l'aisance, et, malgré les entraves qu'y apportaient les habitudes oppressives du gouvernement, tous les écrivains, tous les documents de cette époque attestent les rapides progrès du luxe populaire. Le chroniqueur Harrison entendait raconter aux vieillards que, dans leur jeunesse, ils avaient vu toutes les maisons sans cheminées, excepté celle du seigneur, et deux ou trois peut-être, dans les villes les plus riches; les lits étaient alors faits de natte ou de paille à peine recouverte d'une toile grossière, avec une «bonne grosse bûche1» pour traversin; et le fermier qui, dans les sept premières années de son mariage, était parvenu à se donner un matelas de laine et un sac de son pour reposer sa tête, «se croyait aussi bien logé que le seigneur de la ville.» Elisabeth régna, et Shakespeare nous apprend que le plus actif emploi des follets et des fées était d'aller pincer «jusqu'au bleu2 les servantes qui négligeaient de nettoyer l'âtre de la cheminée; et ce même Harrison décrit les maisons des fermiers de son temps, leurs trois ou quatre lits de plume garnis de couvertures, de tapis, ou même de quelque tenture de soie, leur table bien pourvue de linge, leur buffet plein de vaisselle de terre, où brillaient et la salière d'argent, et le gobelet pour le vin, et une douzaine de cuillers du même métal.

Note 1: (retour) A good round log.
Note 2: (retour) Black and blue.

Plus d'une génération s'écoulera avant qu'un peuple ait épuisé les jouissances nouvelles de ce bien-être inusité. Le règne d'Elisabeth et celui de son successeur suffirent à peine à dépenser ce goût d'aisance et de repos qu'avaient amassé de longues agitations; et l'ardeur religieuse dont l'explosion vint ensuite révéler les forces nouvelles qu'avait recouvrées la société pendant le loisir de ces deux règnes couvait alors obscurément au sein des masses, sans donner encore naissance à aucun mouvement général et décisif.

La réforme, traitée en ennemie par les grands souverains du continent, avait reçu de Henri VIII un commencement d'espérance et d'appui qui ralentit d'abord son ambition et ses progrès. Le joug de Rome était secoué, la vie monastique abolie. En donnant ainsi satisfaction aux premiers désirs du temps, en faisant tourner ces premiers coups de la réforme au profit des intérêts matériels, Henri VIII avait ôté à beaucoup d'esprits le besoin de s'enquérir plus avant des dogmes purement théologiques du catholicisme, qui ne les choquait plus par le spectacle de ses abus les plus décriés. La foi, il est vrai, était chancelante et ne pouvait plus s'attacher fermement à des doctrines ébranlées: aussi ces doctrines devaient-elles succomber un jour; mais ce jour était retardé. Dans un temps où le défenseur catholique de la présence réelle marchait au supplice pour avoir soutenu la suprématie du pape, tandis qu'en rejetant la suprématie du pape le réformé montait au bûcher s'il se refusait à reconnaître la présence réelle, beaucoup d'esprits demeuraient nécessairement en suspens. Ni l'une ni l'autre des opinions en présence n'offrait à la lâcheté, qui se révèle si abondamment dans les jours difficiles, le refuge d'un parti vainqueur. Le dogme de l'obéissance politique était le seul auquel se pussent rallier avec quelque zèle les consciences dociles; et, parmi les adhérents sincères de l'une ou de l'autre foi, les espérances de triomphe que laissait à chaque parti une situation si bizarre retenaient encore dans l'inaction ces courages timides que la tyrannie, pour les forcer à la résistance, est contrainte d'aller chercher jusque dans leurs derniers retranchements.

Les vicissitudes qu'éprouva, sous les règnes d'Edouard VI et de Marie, l'établissement religieux de l'Angleterre, entretinrent cette disposition. L'ardeur du martyre n'eut, dans aucun des deux partis, le temps de se nourrir ni de s'étendre; et si le parti de la réforme, déjà plus puissant sur les esprits, plus persévérant, plus éclatant par le nombre et le courage de ses martyrs, marchait évidemment vers une victoire définitive, le succès qu'il avait obtenu à l'avènement d'Elisabeth lui donnait plutôt le loisir de se préparer à de nouveaux combats, que le pouvoir de les engager aussitôt et de les rendre décisifs.

Attachée, par situation, aux doctrines des réformés, Elisabeth avait, en commun avec le clergé catholique, le goût de la pompe et de l'autorité. Aussi tels furent ses premiers règlements en matière de religion que la plupart des catholiques ne répugnaient point à assister au culte divin dont se contentaient les réformés, et que l'établissement de l'Église anglicane, confié aux mains du clergé existant, ne rencontra parmi les ecclésiastiques que peu de résistance, et probablement aussi peu de zèle. La religion continua d'être, pour un grand nombre d'hommes, une affaire politique. Les démêlés de l'Angleterre avec les cours de Rome et de Madrid, quelques conspirations intérieures et les sévérités qu'elles entraînèrent, élevaient successivement, entre les deux partis, de nouveaux motifs d'animosité; cependant l'intérêt religieux dominait si peu tous les sentiments qu'en 1569 Elisabeth, l'enfant de la réforme, mais précieuse à ses peuples comme le gage du repos et du bonheur public, trouva la plupart de ses sujets catholiques pleins d'ardeur pour l'aider à réprimer la révolte catholique d'une portion du nord de l'Angleterre.

A plus forte raison rentraient-ils facilement dans ce joyeux oubli de tout grand débat où Elisabeth aimait à les entretenir. A la vérité, au fond des masses populaires, la réforme, flattée mais non satisfaite, grondait sourdement; on l'entendait même élever par degrés cette voix qui devait bientôt ébranler toute l'Angleterre. Mais au milieu du mouvement de jeunesse qui emportait, pour ainsi dire, toute la nation, la sévérité des réformateurs n'était encore qu'un spectacle importun, dont se détournaient bientôt ceux qui l'avaient remarqué en passant; et les accents du puritanisme, unis à ceux de la liberté, étaient réprimés sans effort par un pouvoir dont le peuple goûtait trop récemment la protection pour en craindre beaucoup les envahissements.

Nulle époque peut-être n'est plus favorable à la fécondité et à l'originalité des productions de l'esprit que ces temps où une nation libre déjà, mais s'ignorant encore elle-même, jouit naïvement de ce qu'elle possède sans s'apercevoir de ce qui lui manque: temps pleins d'ardeur, mais peu exigeants, où les droits n'ont pas été définis, les pouvoirs discutés, les restrictions convenues. Le gouvernement et le public, marchant alors sans crainte et sans scrupule, chacun dans sa carrière, vivent ensemble sans s'observer avec méfiance, ne se rencontrant même que rarement. Si, d'un côté, le pouvoir est sans limites, de l'autre la liberté sera grande; l'un et l'autre ignoreront ces formes générales, ces innombrables et minutieux devoirs auxquels un despotisme savant et même une liberté bien réglée asservissent plus ou moins les actions et les esprits. C'est ainsi qu'en France le siècle de Richelieu et de Louis XIV connut et posséda cette portion de liberté qui nous a valu une littérature et un théâtre. A cette époque où, parmi nous, le nom même des libertés publiques semblait oublié, où le sentiment de la dignité de l'homme ne servait de base ni aux institutions, ni aux actes du gouvernement, la dignité des situations individuelles se maintenait encore là où la puissance n'avait pas encore eu besoin de l'abaisser. A côté des formes de la servilité se retrouvaient les formes, et quelquefois même les saillies de l'indépendance. Le grand seigneur, soumis et adorateur dans son rôle de courtisan, pouvait en certaines occasions se rappeler avec hauteur qu'il était gentilhomme. Corneille bourgeois n'avait point de termes assez humbles pour exprimer sa reconnaissance et sa dépendance envers le cardinal de Richelieu; Corneille poëte repoussait l'autorité qui voulait prescrire des règles à son génie, et défendait, contre les prétentions littéraires d'un ministre absolu, les «secrets de plaire qu'il pouvoit avoir trouvés dans son art.» Enfin les esprits, encore vigoureux, échappaient de mille manières au joug d'un despotisme encore incomplet ou novice, et l'imagination s'élançait de toutes parts dans les routes ouvertes à son essor.

En Angleterre, sous Elisabeth, le pouvoir, plus irrégulier et moins savamment organisé qu'il ne le fut en France sous Louis XIV, avait à traiter avec des principes de liberté bien plus profonds. On se tromperait si l'on mesurait le despotisme d'Élisabeth aux paroles de ses flatteurs ou même aux actes de son gouvernement. Dans cette cour jeune encore et peu expérimentée, le langage de l'adulation dépassait de beaucoup la servilité des caractères; et dans ce pays, où n'avaient point péri les anciennes institutions, le gouvernement était loin de pénétrer partout. Dans les comtés, dans les villes, une administration indépendante maintenait des habitudes et des instincts de liberté. La reine imposait silence aux Communes qui la pressaient sur le choix d'un successeur ou sur quelque article de liberté religieuse; mais les Communes s'étaient assemblées; elles avaient parlé; et la reine, malgré la hauteur de ses refus, prenait grand soin de ne pas donner sujet à des plaintes qui auraient pu augmenter l'autorité de leurs paroles. Le despotisme et la liberté, évitant ainsi de se rencontrer au lieu de se chercher pour se combattre, se déployaient sans se haïr, avec cette simplicité d'action qui prévient les frottements et bannit les amertumes que font naître de part et d'autre de continuelles résistances. Un puritain venait d'avoir la main droite coupée en punition d'un écrit contre le projet de mariage d'Elisabeth avec le duc d'Anjou: aussitôt après l'exécution, il élève son chapeau de la main gauche en s'écriant: «Dieu garde la reine!» Quand la loyauté demeure si profondément enracinée dans le coeur de l'homme qui s'est exposé à de tels maux pour la liberté, il faut qu'en général la liberté ne croie pas avoir beaucoup à se plaindre.

Rien ne manqua donc à cette époque des biens qu'elle était capable de désirer; rien ne troubla les esprits dans cette première ivresse de la pensée parvenue à l'âge du développement; âge des folies et des miracles, où l'imagination se déploie dans ses plus puérils comme dans ses plus nobles emportements. Un luxe extravagant de fêtes, de parure, de galanterie, la passion de la mode, les sacrifices à la faveur, employaient les richesses et les loisirs des courtisans d'Elisabeth. Les âmes plus ardentes allaient au loin chercher les aventures qui, avec l'espoir de la fortune, leur offraient le plaisir plus vif des hasards. Sir Francis Drake partait en corsaire, et les volontaires se pressaient sur son navire; sir Walter Raleigh annonçait une expédition lointaine, et les jeunes gentilshommes vendaient leurs biens pour s'y associer. Les tentatives spontanées, les entreprises patriotiques se succédaient de jour en jour; et loin de s'épuiser dans ce mouvement, les esprits en recevaient une impulsion et une vigueur nouvelles; la pensée réclamait sa part dans les plaisirs, et devenait en même temps l'aliment des passions les plus sérieuses. Tandis que la foule se précipitait dans les théâtres qui s'élevaient de toutes parts, le puritain, dans ses méditations solitaires, s'enflammait d'indignation contre ces pompes de Bélial et cet emploi sacrilège de l'homme, image de Dieu sur la terre. L'ardeur poétique et l'âpreté religieuse, les querelles littéraires et les controverses théologiques, le goût des fêtes et le fanatisme des austérités, la philosophie, la critique, les sermons, les pamphlets, les épigrammes, se produisaient, se rencontraient, se croisaient; et dans ce conflit naturel et bizarre se formaient la puissance de l'opinion, le sentiment et l'habitude de la liberté: forces brillantes à leur première apparition et imposantes dans leurs progrès, dont les prémices appartiennent au gouvernement habile qui les sait employer, mais dont la maturité menace le gouvernement imprudent qui voudra les asservir. L'élan qui a fait la gloire d'un règne peut devenir bientôt la fièvre qui précipite les peuples dans les révolutions. Aux jours d'Elisabeth, le mouvement de l'esprit public n'appelait encore l'Angleterre qu'aux fêtes, et la poésie dramatique naquit toute grande avec Shakespeare.

Qui ne voudrait remonter à la source des premières inspirations d'un génie original, pénétrer dans le secret des causes qui ont dirigé ses forces naissantes, le suivre pas à pas dans ses progrès, assister enfin à toute la vie intérieure d'un homme qui, après avoir, dans son pays, ouvert à la poésie dramatique la route qu'elle n'a point quittée, y marche encore le premier et presque le seul? Malheureusement, parmi les hommes supérieurs, Shakespeare est un de ceux dont la vie, à peine observée par ses contemporains, est demeurée le plus obscure pour les générations suivantes. Quelques registres civils où se sont conservées les traces de l'existence de sa famille, quelques traditions attachées à son nom dans le pays qui le vit naître, et les oeuvres mêmes de son génie, c'est là tout ce qui nous reste pour combler les lacunes de son histoire.

La famille de Shakespeare habitait Stratford sur Avon, dans le comté de Warwick. Son père, John Shakespeare, faisait, à ce qu'il paraît, son principal état de la préparation de la laine. Peut-être y joignait-il quelques autres branches d'industrie; car, dans des anecdotes recueillies à Stratford même, cinquante ans, à la vérité, après la mort de Shakespeare, Aubrey3 le représente comme fils d'un boucher. A une telle distance, des souvenirs transmis par deux ou trois générations pouvaient s'être un peu confondus dans la mémoire des concitoyens de Shakespeare; cependant les professions n'étaient alors ni distinctes, ni multipliées comme elles le sont de nos jours, et rien n'eût été moins étrange à cette époque, surtout dans une petite ville, que la réunion des différents états qui tenaient au commerce des bestiaux. Quoi qu'il en soit, la famille Shakespeare appartenait à cette bourgeoisie qui a eu de bonne heure tant d'importance en Angleterre. Son bisaïeul avait reçu de Henri VII, comme «récompense de ses services,» quelques propriétés dans le comté de Warwick. Son père John exerçait en 1569, à Stratford, la fonction de grand bailli; mais, dix ans après, sa fortune avait éprouvé sans doute de tristes revers, car, en 1579, on voit sur les registres de Stratford deux aldermen exemptes d'une taxe imposée à leurs confrères, et John Shakespeare en est un. En 1586, il fut remplacé dans ses fonctions d'alderman, qu'il ne remplissait plus depuis longtemps; d'autres causes que la pauvreté peuvent avoir contribué à l'en écarter. On a dit que Shakespeare était catholique; il paraît du moins certain que telle fut la croyance de son père; en 1770, un couvreur, raccommodant le toit de la maison où était né Shakespeare, trouva, entre la charpente et les tuiles, un manuscrit déposé là sans doute dans un moment de persécution, et contenant une profession de foi catholique, en quatorze articles qui commencent tous par ces mots: «Moi, John Shakespeare.» Le pouvoir toujours croissant des doctrines réformées avait peut-être rendu les devoirs d'alderman plus difficiles pour un catholique qui, avec l'âge, pouvait aussi être devenu plus scrupuleux sur ceux de sa foi.

Note 3: (retour) Écrivain qui vivait environ cinquante ans après Shakespeare, et qui a recueilli des souvenirs et des traditions de son temps.

Ce fut le 23 avril 1564 que naquit William Shakespeare, le troisième ou le quatrième de neuf, de dix, ou peut-être même de onze enfants, qui formèrent, à ce qu'il paraît, la famille de John. William était, il y a lieu de le croire, le premier des enfants mâles, l'aîné des espérances de son père. La prospérité et la considération appartenaient certainement alors à cette famille dont, cinq ans après, on voit le chef revêtu du premier emploi de sa ville natale. On peut donc admettre que l'éducation, de Shakespeare, dans ses jeunes années, répondit à ce que suppose une telle situation; et lorsque ensuite un changement de fortune, quelle qu'en ait été la cause, vint interrompre ses études, il avait probablement acquis ces premières habitudes d'une éducation libérale qui suffisent à un homme supérieur pour débarrasser son esprit de la gaucherie de l'ignorance, et le mettre en possession des formes convenues dont il a besoin de savoir revêtir sa pensée. C'est là plus qu'il n'en faut pour expliquer comment Shakespeare manqua des connaissances qui constituent une bonne éducation, en possédant les élégances qui l'accompagnent.

Shakespeare n'avait pas quinze ans lorsqu'il fut retiré des écoles pour aider, dans son commerce, son père appauvri. C'est alors que, selon la tradition d'Aubrey, William aurait exercé les sanglantes fonctions attachées à l'état de boucher. Cette supposition révolte aujourd'hui les commentateurs du poète; mais une circonstance rapportée par Aubrey ne permet guère d'en douter, et révèle en même temps cette imagination déjà incapable de s'assujettir à de vils emplois sans y joindre quelque idée, quelque sentiment qui les ennoblit: «Quand il tuait un veau, dirent à Aubrey les gens du voisinage, il le faisait avec pompe et prononçait un discours.» Qui n'entrevoit le poëte tragique inspiré par le spectacle de la mort, fût-ce celle d'un animal, et cherchant à le rendre imposant ou pathétique? Qui ne se représente l'écolier de treize ou quatorze ans, la tête remplie de ses premières connaissances littéraires, l'esprit frappé peut-être de quelque représentation théâtrale, élevant, dans un transport poétique, l'animal qui va tomber sous ses coups à la dignité de victime, ou peut-être à celle de tyran?

Ce fut en 1576 que le brillant Leicester célébra à Kenilworth la visite d'Elisabeth, par des fêtes dont tous les écrits du temps attestent l'extraordinaire magnificence. Shakespeare avait douze ans, et Kenilworth est à quelques milles de Stratford. Il est difficile de douter que la famille du jeune poëte n'ait partagé, avec toute la population de la contrée, le plaisir et l'admiration qu'excitèrent ces pompeux spectacles. Quel ébranlement n'en dut pas recevoir l'imagination de Shakespeare! Cependant les premières années du poëte nous ont transmis, pour unique trace des singularités qui peuvent annoncer le génie, l'anecdote que je viens de raconter, et ce qu'on sait des amusements de sa jeunesse n'a rien qui rappelle les goûts et les plaisirs d'une vie littéraire.

Nous vivons dans des temps de civilisation et de prévoyance, où chaque chose a sa place et sa règle, où la destinée de chaque individu est déterminée par des circonstances plus ou moins impérieuses, mais qui se manifestent de bonne heure. Un poëte commence par être un poëte; celui qui doit le devenir le sait presque dès l'enfance; la poésie a été familière à ses premiers regards; elle a pu être son premier goût, sa première passion quand le mouvement des passions s'est éveillé dans son sein. Le jeune homme a exprimé en vers ce qu'il ne sent pas encore; et quand le sentiment naîtra vraiment en lui, sa première pensée sera de le mettre en vers. La poésie est devenue le but de son existence; but aussi important qu'aucun autre, carrière où il peut rencontrer la fortune aussi bien que la gloire, et qui peut s'ouvrir aux idées sérieuses de son avenir comme aux capricieuses saillies de sa jeunesse. Dans une société ainsi avancée, l'homme n'a pas à s'ignorer, à se chercher longtemps lui-même; une voie facile se présente à cette ardeur de la jeunesse qui s'égarerait bien loin peut-être avant de trouver la direction qui lui convient; les forces et les passions d'où jaillira le talent connaissent bientôt le secret de leur destinée; et, résumées de bonne heure en discours, en images, en cadences harmonieuses, s'exhalent sans peine dans les précoces essais du jeune homme, les illusions du désir, les chimères de l'espérance, et quelquefois même les amertumes du désappointement.

Dans les temps où la vie est difficile et les moeurs rudes, il en est rarement ainsi pour le poète que forme la seule nature. Rien ne le révèle sitôt à lui-même; il faudra qu'il ait beaucoup senti avant de croire qu'il ait quelque chose à peindre; ses premières forces se porteront vers l'action, vers l'action irrégulière telle que la provoque l'impatience de ses désirs, vers l'action violente si quelque obstacle vient se placer entre lui et le succès que lui a promis sa fougueuse imagination. En vain le sort lui a départi les plus nobles dons; il ne peut les employer qu'au seul but qu'il connaisse. Dieu sait à quels triomphes il fera servir son éloquence, dans quels projets et pour quels avantages il déploiera les richesses de son invention, parmi quels égaux ses talents l'élèveront au premier rang, de quelles sociétés la vivacité de son esprit le rendra l'amusement et l'idole! Triste assujettissement de l'homme au monde extérieur! Doué d'une puissance inutile si son horizon est moins étendu que la portée de sa vue, il ne voit que ce qui est autour de lui; et le ciel qui lui prodigua des trésors n'a rien fait pour lui s'il ne le place dans des circonstances qui les lui révèlent. C'est du malheur que sort communément cette révélation; quand le monde manque à l'homme supérieur, il se replie sur lui-même et se reconnaît; quand la nécessité le presse, il recueille ses forces; et c'est bien souvent pour avoir perdu la faculté de ramper sur la terre que le génie et la vertu se sont élancés vers les cieux.

Ni les occupations auxquelles semblait destinée la vie de Shakespeare, ni les amusements et les compagnons de ses loisirs ne lui offraient rien qui pût saisir et absorber cette imagination dont la puissance commençait à ébranler son être. Livrée à toutes les excitations qui se rencontraient sur son chemin, parce que rien ne pouvait la satisfaire, la jeunesse du poëte accepta le plaisir, sous quelque forme qu'il se présentât. Une tradition des bords de l'Avon, d'accord avec la vraisemblance, donne lieu de penser qu'il n'avait guère que le choix des plus vulgaires divertissements. Voici cette anecdote, telle que la racontent encore, dit-on, les gens de Stratford et ceux de Bidford, village voisin, renommé, dès les siècles passés, pour l'excellence de sa bière, et aussi, ajoute-t-on, pour l'inextinguible soif de ses habitants.

La population des environs de Bidford, partagée en deux sociétés, connues sous le nom des Francs Buveurs et des Gourmets de Bidford4, était dans l'usage de défier à des combats de bouteille tous ceux qui, dans les lieux d'alentour, se faisaient honneur de quelque mérite dans ce genre d'épreuves. La jeunesse de Stratford, provoquée à son tour, accepta vaillamment le défi; et Shakespeare, non moins connaisseur, assure-t-on, en fait de bière, que Falstaff en fait de vin d'Espagne, fit partie de la bande joyeuse, dont sans doute il se séparait rarement. Mais les forces ne répondaient pas au courage. Arrivés au lieu du rendez-vous, les braves de Stratford trouvent les Francs Buveurs partis pour la foire voisine; les Gourmets, moins redoutables, selon toute apparence, demeuraient seuls, et proposent d'essayer la fortune des armes; la partie est acceptée; mais, dès les premiers coups, la troupe de Stratford, mise hors de combat, se voit réduite à la triste nécessité d'employer ce qui lui reste de raison à profiter de ce qui lui reste de jambes pour opérer sa retraite; l'opération paraissait même difficile, et devient bientôt impossible; à peine a-t-on fait un mille que tout manque à la fois, et la troupe entière établit, pour la nuit, son bivouac sous un pommier sauvage, encore debout, s'il en faut absolument croire les voyageurs, sur la route de Stratford à Bidford, et connu sous le nom de l'arbre de Shakespeare. Le lendemain ses camarades, réveillés par le jour et rafraîchis par la nuit, voulurent l'engager à retourner avec eux sur ses pas pour venger l'affront de la veille; mais Shakespeare s'y refusa, et jetant les yeux autour de lui sur les villages répandus dans la campagne: «Non, s'écria-t-il, j'en ai assez d'avoir bu avec:

Pebworth le flûteur, le danseur Marston,

Hillbrough aux revenants, l'affamé Grafton,

Exhall le brigand, le papiste Wicksford,

Broom où l'on mendie, et l'ivrogne Bidford5.

Note 4: (retour) Toppers and Sippers.
Note 5: (retour) Plusieurs de ces villages conservent encore la réputation que Shakespeare leur attribue dans ce quatrain.

Cette conclusion de l'aventure fait présumer que la débauche avait moins de part que la gaieté à ces excursions de la jeunesse de Shakespeare, et que, sinon la poésie, du moins les vers étaient déjà pour lui le langage naturel de la gaieté. La tradition a conservé de lui quelques autres impromptu du même genre, mais attachés à des anecdotes plus insignifiantes; et tout concourt à nous représenter cette imagination riante et facile se jouant avec complaisance au milieu des grossiers objets de ses amusements, et l'ami futur de lord Southampton charmant les rustiques riverains de l'Avon par cette grâce animée, cette joyeuse sérénité d'humeur, cette bienveillante ouverture de caractère qui trouvaient ou faisaient naître partout des plaisirs et des amis.

Cependant, au milieu de ces grotesques folies, un événement sérieux trouve sa place, le mariage de Shakespeare. Au moment où il contracta un engagement si grave, Shakespeare n'avait pas plus de dix-huit ans, car il en faut croire la naissance de sa fille aînée, venue au monde un mois après celui où il avait accompli sa dix-neuvième année. Quels motifs le précipitèrent de si bonne heure dans des liens qu'il semblait encore peu fait pour porter? Anna Hatway, sa femme, fille d'un cultivateur, et par conséquent un peu au-dessous de lui pour la condition, avait huit ans de plus que lui; peut-être le surpassait-elle en fortune; peut-être les parents du poëte voulurent-ils essayer de l'attacher, par une union avantageuse, à quelques occupations sédentaires; on ne voit pas cependant, bien s'en faut, que le mariage de Shakespeare ait ajouté à l'aisance de sa vie. Peut-être l'amour détermina-t-il les jeunes gens; peut-être même contraignit-il les familles à précipiter le légitime accomplissement de leurs voeux. Quoi qu'il en soit, moins de deux ans après Suzanna, ce premier fruit de son mariage, naquirent à Shakespeare deux jumeaux, un fils et une fille, dernière preuve d'une intimité conjugale qui s'était d'abord annoncée sous des apparences si fécondes. S'il en faut croire quelques indications, à la vérité douteuses et obscures, la femme de Shakespeare rappelée, comme on le verra, ou plutôt oubliée dans son testament d'une façon étrange, ne fut, dans la suite de sa vie, que bien rarement présente à sa pensée; et cet engagement irrévocable, si hâtivement contracté, semble se ranger au nombre des saillies les plus passagères de sa jeunesse.

Parmi les faits qu'on a tâché de recueillir sur cette période de la vie de Shakespeare, se place encore la tradition rapportée par Aubrey qui lui fait exercer quelque temps les fonctions de maître d'école, anecdote niée par tous ses biographes. Quelques-uns, d'après des notions tirées de ses ouvrages, penchent à croire que le poëte d'Elisabeth a essayé les forces de son esprit dans l'étude d'un procureur; selon leurs conjectures, les nouveaux devoirs de la paternité l'auraient engagé à chercher cet emploi de ses talents, tandis qu'Aubrey place avant son mariage l'épreuve momentanée qu'il en fit comme maître d'école. Mais rien, à cet égard, n'est certain ni important. Ce qui ne parait pas douteux, c'est la constante disposition du mari d'Anna Hatway à varier, par des distractions de tout genre, les occupations quelconques que lui imposait la nécessité. L'événement qui détermina Shakespeare à quitter Stratford, et donna à l'Angleterre le premier de ses poètes, prouve que l'état de père de famille n'avait pas changé grand'chose à l'irrégularité des habitudes du jeune homme.

Jaloux de leur chasse, comme tous les gentilshommes qui ne font pas la guerre, les possesseurs de parcs avaient sans cesse à les défendre contre des invasions aussi fréquentes que faciles dans des lieux rarement fermés. Le danger ne diminue pas toujours les tentations, et souvent même il les fait paraître moins illégitimes. Une société de braconniers exerçait ses déprédations dans les environs de Stratford, et Shakespeare, éminemment sociable, ne se refusait guère à ce qui se faisait en commun. Il fut pris dans le parc de sir Thomas Lucy, enfermé dans la loge du garde où il passa la nuit d'une manière probablement désagréable, et conduit le lendemain matin devant sir Thomas, auprès de qui, selon toute apparence, il n'atténua pas sa faute par la soumission et le repentir. Shakespeare paraît avoir conservé, de cette circonstance de sa vie, un souvenir trop gai pour qu'on ne suppose pas qu'elle lui procura plus d'un divertissement. Sir Thomas Lucy, traduit plusieurs années après sur la scène, sous le nom du juge Shallow, s'était sans doute fixé dans son imagination moins comme un objet d'humeur que comme une plaisante caricature. Que, dans leur entrevue, Shakespeare ait exercé la vivacité de son esprit aux dépens de son puissant adversaire, que ce succès l'ait consolé de son mauvais sort, et qu'il en ait joui avec cet orgueil moqueur si amusant pour celui qui le déploie et si offensant pour celui qui le subit, une telle supposition est en soi très-vraisemblable; et la scène où, dans la Seconde partie de Henri IV, Falstaff traite avec une spirituelle insolence le juge Shallow qui veut le poursuivre en justice pour un fait absolument pareil, nous a évidemment conservé quelques-unes des réparties du jeune braconnier. Elles n'avaient pas pour objet et ne pouvaient avoir pour résultat d'adoucir le ressentiment de sir Thomas. De quelque manière qu'il l'ait fait sentira l'offenseur alors en son pouvoir, les besoins de vengeance devinrent réciproques. Shakespeare composa et afficha aux portes de sir Thomas une ballade aussi mauvaise qu'il le fallait pour divertir singulièrement le public auquel il demandait alors ses triomphes, et pour porter au dernier degré le courroux de l'homme dont elle livrait le nom à la risée populaire. Des poursuites juridiques furent entamées contre le jeune homme avec une telle violence qu'il se crut obligé de pourvoir à sa sûreté, et quitta sa famille pour aller chercher à Londres un asile et des moyens d'existence.

Quelques-uns des biographes de Shakespeare ont pensé que des embarras pécuniaires pouvaient avoir déterminé ce départ. Aubrey ne l'attribue qu'au désir de trouver à Londres quelque occasion de faire valoir ses talents. Mais, quoi qu'il en soit des résultats ultérieurs de l'aventure du poëte avec sir Thomas Lucy, le fait même ne saurait être révoqué en doute. Shakespeare semble avoir pris soin de le constater. De toutes les sottises de Falstaff, la seule dont il ne soit pas puni, c'est d'avoir «tué le daim et battu les gens» de Shallow, exploit d'ailleurs beaucoup plus conforme à l'idée que Shakespeare pouvait avoir conservée de sa propre jeunesse qu'à celle qu'il nous a donnée du vieux chevalier, d'ordinaire plutôt battu que, battant. Tout l'avantage reste à Falstaff dans cette affaire, et Shallow, si clairement désigné par les armes de la famille Lucy, n'est nulle part aussi ridicule que dans la scène où il exhale sa colère contre son voleur de gibier. Le poëte ne s'en occupe même plus guère et l'abandonne, au sortir des mains de Falstaff, comme s'il en eût tiré tout ce qu'il avait à lui demander. Ce soin amical et la complaisance avec laquelle Shakespeare reproduit dans la pièce, à propos des armes de Shallow, le jeu de mots qui faisait tout le sel de sa ballade contre sir Thomas Lucy, ont bien l'air d'un tendre souvenir; et, à coup sûr, peu d'anecdotes historiques peuvent produire, en faveur de leur authenticité, des preuves morales aussi concluantes.

Que n'en sait-on autant sur l'emploi des premiers moments du séjour de Shakespeare à Londres, sur les circonstances qui amenèrent son entrée au théâtre, sur la part que put avoir la conscience de son talent dans la résolution qui en dirigea l'essor? Mais les traditions les plus accréditées à ce sujet manquent et de vraisemblance et de preuves. Ce besoin d'étonnement, source des croyances merveilleuses, et qui entre deux récits fera presque toujours pencher notre foi vers le plus étrange, nous dispose en général à chercher, aux événements importants, une cause accidentelle dans ce que nous appelons le hasard. Nous admirons alors, avec un singulier plaisir, les miraculeuses habiletés de ce hasard que nous supposons aveugle parce que nous le sommes nous-mêmes, et notre imagination se réjouit à l'idée d'une force irraisonnable présidant aux destinées d'un homme de génie. Ainsi, selon la tradition la plus accréditée, la misère seule aurait déterminé le choix des premières occupations de Shakespeare à Londres, et le soin de garder les chevaux à la porte du spectacle aurait été son premier rapport avec le théâtre, son premier pas vers la vie dramatique. Mais l'homme extraordinaire se décèle toujours par quelque endroit; telle était la grâce du nouveau venu dans ses humbles fonctions que bientôt personne ne voulut plus confier son cheval à d'autres mains qu'à celles de William Shakespeare ou de ses ayants cause; et alors, étendant son commerce, ce serviteur favorisé du public prit lui-même à son service de jeunes garçons chargés de se présenter en son nom aux arrivants, et certains d'être préférés quand ils se déclaraient les «garçons de Shakespeare6,» titre que retinrent, dit-on, fort longtemps les jeunes gens qui gardaient ainsi les chevaux à la porte du spectacle.

Note 6: (retour) Shakespeare's boys

Telle est l'anecdote rapportée par Johnson qui la tenait, dit-il, de Pope à qui Rowe l'avait communiquée. Cependant Rowe, le premier biographe de Shakespeare, n'en a point parlé dans son propre récit, et l'autorité de Johnson a pour unique appui les Vies des poëtes de Cibber, ouvrage auquel Cibber n'a guère donné que son nom, et dont un secrétaire subalterne de Johnson lui-même fut presque le seul auteur.

Une autre tradition, qui s'était conservée parmi les comédiens, nous représente Shakespeare comme remplissant d'abord les dernières fonctions de la hiérarchie théâtrale, celles de garçon appeleur7, chargé d'avertir les acteurs quand venait leur tour d'entrer en scène. Telle eût été en effet la promotion graduelle par laquelle le commissionnaire de la porte aurait pu s'élever jusqu'à l'entrée des coulisses. Mais, en tournant ses idées vers le théâtre, est-il vraisemblable que Shakespeare les eût arrêtées à la porte? À l'époque de son arrivée à Londres, c'est-à-dire vers 1584 ou 1585, il avait, au théâtre de Black-Friars, une protection naturelle; Greene, son compatriote et probablement son parent, y figurait comme acteur assez estimé, et aussi comme auteur de quelques comédies. Ce fut, selon Aubrey, dans l'intention positive de se vouer au théâtre que Shakespeare se rendit à Londres; et quand le crédit de Greene n'eût réussi qu'à le faire recevoir sous le titre de call-boy, on comprend sans peine par quels degrés un homme supérieur franchit rapidement toute la carrière dont il a obtenu l'entrée. Mais il serait plus difficile de concevoir qu'avec l'exemple et la protection de Greene, la carrière théâtrale, ou du moins le désir de s'y essayer comme acteur, n'eût pas été la première ambition de Shakespeare. L'époque était venue où les ambitions de l'esprit s'allumaient de toutes parts; et la poésie dramatique, depuis longtemps au rang des plaisirs nationaux, avait enfin acquis en Angleterre cette importance qui appelle les chefs-d'oeuvre.

Note 7: (retour) Call-boy.

Nulle part sur le continent le goût de la poésie n'a été aussi constant et aussi populaire que dans la Grande-Bretagne. L'Allemagne a eu ses minnesingers, la France ses trouvères et ses troubadours; mais ces gracieuses apparitions de la poésie naissante montèrent rapidement vers les régions supérieures de l'ordre social, et tardèrent peu à s'évanouir. Les ménestrels anglais ont traversé toute l'histoire de leur pays dans une condition plus ou moins brillante, mais toujours reconnue par la société, constatée par ses actes, déterminée par ses règlements. Ils y paraissent comme une corporation véritable qui a ses affaires, son influence, ses droits, qui pénètre dans tous les rangs, et s'associe aux divertissements du peuple comme aux fêtes de ses chefs. Héritiers des bardes bretons et des scaldes Scandinaves, avec qui les confondent sans cesse les écrivains anglais du moyen âge, les ménestrels de la vieille Angleterre conservèrent assez longtemps une portion de l'autorité de leurs devanciers. Plus tard soumise, plus tôt délaissée, la Grande-Bretagne ne reçut point, comme la Gaule, l'empreinte universelle et profonde de la civilisation romaine. Les Bretons disparurent ou se retirèrent devant les Saxons et les Angles; depuis cette époque, la conquête des Danois sur les Saxons, des Normands sur les Saxons et les Danois réunis, ne mêla sur ce sol que des peuples d'origine commune, d'habitudes analogues, à peu près également barbares. Les vaincus furent opprimés, mais ils n'eurent point à humilier leur mollesse devant les moeurs brutales de leurs maîtres; les vainqueurs ne furent pas contraints de subir peu à peu l'empire des moeurs plus savantes de leurs nouveaux sujets. Chez une nation ainsi homogène, et à travers les vicissitudes de sa destinée, le christianisme même ne joua point le rôle qui lui échut ailleurs. En adoptant la foi de saint Rémi, les Francs trouvèrent dans la Gaule un clergé romain, riche, accrédité, et qui dut nécessairement entreprendre de modifier les institutions, les idées, la manière de vivre comme la croyance religieuse des conquérants. Le clergé chrétien des Saxons fut saxon lui-même, longtemps grossier et barbare comme ses fidèles, jamais étranger, jamais indifférent à leurs sentiments et à leurs souvenirs. Ainsi la jeune civilisation du Nord grandit, en Angleterre, dans la simplicité comme avec l'énergie de sa propre nature, indépendante des formes empruntées et de la sève étrangère qu'elle reçut ailleurs de la vieille civilisation du Midi. Ce fait puissant, qui a déterminé peut-être le cours des institutions politiques de l'Angleterre, ne pouvait manquer d'exercer aussi, sur le caractère et le développement de sa poésie, une grande influence.

Un peuple qui marche ainsi selon sa première impulsion, et ne cesse point de s'appartenir tout entier, jette sur lui-même des regards de complaisance; le sentiment de la propriété s'attache pour lui à tout ce qui le touche, la joie de l'orgueil à tout ce qu'il produit; ses poëtes animés à lui retracer ses propres faits, ses propres moeurs, sont certains de ne rencontrer nulle part une oreille qui ne les entende, une âme qui ne leur réponde; leur art est à la fois le charme des dernières classes de la société et l'honneur des conditions les plus élevées. Plus qu'en toute autre contrée la poésie s'unit, dans l'ancienne histoire d'Angleterre, aux événements importants: elle introduit Alfred sous les tentes des Danois; quatre siècles auparavant, elle avait fait pénétrer le Saxon Bardulph dans la ville d'York, où les Bretons tenaient son frère Colgrim assiégé; soixante ans plus tard, elle accompagne Awlaf, roi des Danois, dans le camp d'Athelstan; au XIIe siècle, on lui fera honneur de la délivrance de Richard Coeur de lion. Ces vieux récits et tant d'autres, quelque douteux qu'on les suppose, prouvent du moins combien étaient présents à l'imagination des peuples l'art et la profession du ménestrel. Un fait plus moderne atteste l'empire que ces poëtes populaires exercèrent longtemps sur la multitude. Hugh, premier comte de Chester, avait statué, dans l'acte de fondation de l'abbaye de Saint-Werburgh, que la foire de Chester serait, pendant toute sa durée, un lieu d'asile pour les criminels, sauf à l'égard des crimes commis dans la foire même. En 1212, sous le règne du roi Jean et au moment de cette foire, Ranulph, dernier comte de Chester, voyageant dans le pays de Galles, fut attaqué par les Gallois et contraint de se retirer dans son château de Rothelan où ils l'assiégèrent. Il parvint à informer de sa situation Roger ou John de Lacy, constable de Chester; celui-ci intéressa à la cause du comte les ménestrels qu'avait attirés la foire, et ils échauffèrent si bien, par leurs chants, cette multitude de gens sans aveu réunis alors à Chester sous la sauvegarde du privilège de Saint-Werburgh, qu'elle se mit en marche, conduite par le jeune Hugh de Dutton, intendant de lord Lacy, pour aller délivrer le comte. Il ne fut pas nécessaire d'en venir aux mains; les Gallois, à la vue de cette troupe qu'ils prirent pour une armée, abandonnèrent leur entreprise; et Ranulph reconnaissant accorda aux ménestrels du comté de Chester plusieurs privilèges dont ils devaient jouir sous la protection de la famille Lacy, qui transféra ensuite ce patronage aux Dutton et à leurs descendants8.

Note 8: (retour) Sous le règne d'Élisabeth, déchus de leur ancienne splendeur, mais assez importants encore pour que la loi qui ne voulait plus les protéger fût toujours obligée de s'occuper d'eux, les ménestrels se virent, par un acte du Parlement, assimilés aux mendiants et vagabonds; mais il y eut exception en faveur de ceux que protégeait la famille Dutton, et ils continuèrent d'exercer librement leur profession et leurs privilèges, souvenir honorable du service qui les leur avait mérités.

Les chroniques n'attestent pas seules le nombre et la popularité des ménestrels; d'époque en époque la législation en fait foi. En 1315, sous Édouard II, le conseil du roi, voulant réprimer le vagabondage, défend à qui que ce soit de s'arrêter dans les maisons des prélats, comtes et barons, pour y manger et boire, «si ce n'est un ménestrel;» encore ne pourra-t-il entrer chaque jour, dans ces maisons, «plus de trois ou quatre ménestrels d'honneur,» à moins que le propriétaire lui-même n'en admette un plus grand nombre. Chez les gens de moindre condition, les ménestrels mêmes ne pourront entrer s'ils ne sont appelés; et ils devront se contenter alors de «manger et de boire, et de telle courtoisie» qu'il plaira au maître de la maison d'y ajouter. En 1316, pendant qu'Édouard célébrait à Westminster, avec ses pairs, la fête de la Pentecôte, une femme «parée à la manière des ménestrels,» et montée sur un grand cheval caparaçonné «selon la coutume des ménestrels,» entra dans la salle du banquet, fit le tour des tables, déposa sur celle du roi une lettre, et faisant aussitôt retourner son cheval, s'en alla en saluant la compagnie. La lettre déplut au roi, à qui elle reprochait les prodigalités répandues sur ses favoris au détriment de ses fidèles serviteurs; on réprimanda les portiers d'avoir laissé entrer cette femme: «Ce n'est pas, répondirent-ils, la coutume de refuser jamais aux ménestrels l'entrée des maisons royales.» Sous Henri VI, on voit les ménestrels, qui se chargent d'égayer les fêtes, souvent mieux payés que les prêtres qui viennent les solenniser. A la fête de la Sainte-Croix, à Abingdon, vinrent douze prêtres et douze ménestrels; les premiers reçurent chacun «quatre pence;» les derniers, «deux schellings et quatre pence.» En 1441, huit prêtres de Coventry, appelés au prieuré de Maxtoke pour un service annuel, eurent chacun deux schellings; les six ménestrels qui avaient eu mission d'amuser les moines réunis au réfectoire reçurent chacun quatre schellings, et soupèrent avec le sous-prieur dans la «chambre peinte,» éclairés par huit gros flambeaux de cire, dont la dépense est portée sur les comptes du couvent.

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